J’ai déjà vu mieux que ça.

Voilà, ça y est.
Je suis sortie de ma bulle d’eau.
J’ai bien sentie que je devais y rester un peu plus longtemps sinon je serais née le jour de l’anniversaire d’Hitler et ça j’ai bien senti que ce n’était pas ok pour mes parents. 


Clairement, quand je suis arrivée contre ma maman, j’ai compris qu’il n’y avait pas d’autre endroit où je me sentirai au chaud et en sécurité. Que quoiqu’il se passe, elle veillerait à ce qu’on ne soit pas emmerdées dans ce qu’on avait à vivre elle et moi. 

Quand je suis arrivée contre mon papa, lui qui n’avait jamais pris un bébé dans les bras, j’étais la première. J’ai senti que personne ne m’aimerait jamais autant que lui. Jamais personne ne ferait de moi sa priorité comme il le faisait.

Nous voilà ensemble.
Le trio gagnant.
Un trio qui créé sa propre norme.
Me voilà, cet enfant que ma mère a toujours voulu, cet enfant que mon père n’avait même jamais pensé avoir mais qui lui a finalement donné le meilleur rôle de sa vie. 

Le temps s’est arrêté l’espace de 5 jours.
Mais j’en ai vu du monde durant ces 5 jours.
Dès le premier, ça a défilé dans cette tour d’ivoire qu’était notre chambre.
Toutes ces personnes qui semblaient m’avoir attendue comme mes parents. J’en ai envoyé chier quelques uns en hurlant et en réclamant qu’on me remette contre ma maman ou mon papa. J’ai clairement sentie que j’étais aimée par bien plus grand que juste mes parents. 

La première nuit a été collée serrée contre ma mère. 
Puis, parce qu’il était hors de question que je leur fasse miroiter des nuits paisibles, je me suis réveillée juste ce qu’il fallait en leur offrant au passage mon premier caca pétrole comme premier cadeau à mon père. 

Y a quand même un truc un peu étrange qui se passait quand je tentais de boire en têtant le sein de ma mère. Je voyais toujours son poing se lever dès que ma bouche se mettait sur son téton.
Je la sentais se crisper.
Pourtant je n’avais pas l’impression de faire quelque chose de mal…

Puis on a tenté de me donner ce qui sortait du sein de ma mère à la petite cuillère et ça semblait difficile pour ma maman. J’ai souvent senti quelques larmes couler sur mon petit crâne et je préfèrais quand mon crâne était mouillé par sa bave quand je dormais tout contre elle et qu’elle s’endormait comme une masse. 

Bref, les premiers jours on était dans une tour d’ivoire.
J’ai même cru que c’était ma maison tellement on a pu s’y installer.
Mais un jour, sans trop savoir pourquoi, on m’a habillée comme si je devais partir sur une autre planète, on m’a coincée dans une sorte de coquille en plastique dans laquelle on ma baladée jusqu’à l’extérieur de notre tour d’ivoire. 

J’ai alors débarqué dans un nouveau lieu, des nouvelles odeurs, un nouvel espace, des nouvelles textures.
C’était ma vraie première maison.
Celle de notre trio.
Un nid en hauteur. 

Ma mère ne se décollait pas de moi. J’ai souvent dormi entre la chaleur des corps de mes parents, le chat faisant bouillote à nos pieds. 

Les premiers jours dans cette première maison, j’ai entendu les sanglots de ma mère.
Souvent.

Ils étaient plus nombreux que les miens.
Même quand je dormais, je la sentais m’observer et pleurer. Je me demandais pourquoi elle avait l’air si triste.
Tout semblait pourtant rouler. J’avais chaud, je me faisais suffisament bien comprendre pour qu’elle me donne à manger à peu près tout le temps, j’étais tout le temps contre elle ou mon papa.
Mais elle semblait avoir souvent besoin de pleurer. 

Les jours passaient et on passait la majeure partie de notre temps ensemble, elle et moi.
Ses larmes étaient toujours là.
Je la sentais parfois me serrer contre elle comme si elle aurait voulu que je puisse de nouveau ne faire qu’une avec elle. 

Je l’entendais dire combien elle m’aimait, combien c’était trop d’amour et elle pleurait de plus belle.
Je l’entendais parfois hurler à mon papa qu’il fallait qu’il s’occupe de moi parce qu’elle ne savait pas faire, qu’elle était nocive pour moi…

Je crois que le plus compliqué c’est quand ma grand-mère venait me voir.
Je sentais que ma maman s’effacçait et laissait sa maman faire comme si c’était elle ma maman.
Alors que clairement, je n’étais jamais mieux et plus apaisée que contre ma maman à moi, qui savait répondre parfaitement à tout ce dont j’avais besoin.

Là, je ne raconte que les premiers jours mais en fait je crois que c’est comme ça que ça s’est passé pendant longtemps et encore parfois aujourd’hui.

Ma mère qui a souvent la sensation de ne pas être à la hauteur, bercée par cette phrase que ce monsieur à la blouse blanche que j’ai vu en sortant de son ventre n’arrêtait pas de lui répéter:

“J’ai déjà vu mieux que ça Mme Alexandre”

Et moi qui la réconforte souvent en lui rappelant qu’elle est assez quand elle s’autorise à ne faire que m’aimer. Qu’au fond je n’ai besoin de rien de plus que ça.
Avoir chaud, être en sécurité, être écoutée et aimée.
Et ça, quand elle n’a pas peur, quand elle sort de ses peurs, elle fait tout ça à merveille ma mère.